Petit déjeuné

Je sors de la chambre, la sous-directrice étant venu frapper à ma porte pour me convier au petit-déjeuner. Au moins, elle avait l’air sympathique, pas du genre à vous aboyer dessus dès les premiers rayons du soleil. Je prends soin de tourner deux fois la clé dans la serrure, on n’est jamais trop sûr. Bon et bien. C’est l’heure pour moi. J’inspire profondément, ajuste mes manches avant de me diriger, de mon pas le plus assuré, vers l’escalier menant au rez-de-chaussée. Ha ! Me voilà donc dans le salon. Ma main lâche machinalement la rampe en bois pendant que mes yeux inspectent calmement les lieux. La première chose qui saute aux yeux c’est tout l’espace dont nous disposons, on pourrait loger tout un régiment. L’odeur du café et du pain grillé me parvient, me rappelant que mon ventre est dramatiquement vide. Une des choses auxquels je vais devoir m’habituer c’est leurs petits-déjeuners de gringalets. Il va m’en falloir des tartines pour calmer mon estomac furieux. Finalement, je m’aperçois que je ne suis pas seul. Une jeune femme brune attend effectivement dans le salon. Ce doit être elle qui est venue toquer à ma porte. Je viens à sa rencontre.

« Bonjour mademoiselle, je suis Charly.» Je lui dis avec un sourire avenant.

Mes intuitions semblent être les bonnes ; Mayalen est une jeune femme sympathique et serviable. J’ai voulu lui demander si elle avait besoin d’une quelconque aide pour le petit-déjeuner mais elle avait déjà disparu dans la cuisine. Sur la table, tout aussi immense que la pièce dans laquelle je me retrouve, sont disposés des bols, des tasses, des couteaux et autres couverts. Je prends un bol que je regarde sous toutes les coutures. En Angleterre, c’est une chose que nous n’avons pas, nous nous contentons des mugs. Ca ne doit pas être pratique de boire là-dedans…enfin bon, tant qu’on ne m’y oblige pas, je leur laisse le plaisir de leurs bols. Je prends place à la table quand Mayalen revient avec quelques tartines et du café. J’hausse discrètement un sourcil. Tiennent-ils réellement jusqu’au déjeune avec seulement quelques malheureuses tartines ?

« Merci d’avoir préparé le petit-déjeuner, c’est une attention charmante. » Je dis en prenant une tartine et un mug que je remplis de café. « Les autres cavaliers ne semblent pas matinaux. » Je remarque en plaisantant.

Je suis tout de même content sur un point ; retrouver la consistance du pain français. Peut-être m’y ferai-je plus vite que je ne veux bien le penser. J’avale une gorgée de café chaud.

M’appliquant à tartiner du beurre sur la tranche de pain, je souris. Visiblement, mon accent n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Je dépose le couteau sur une serviette bleue et rajoute un peu de sucre à mon café. « Vous ne vous trompez pas, je viens de Londres. ». Mon mug à la main, j’écoute aussi attentivement les informations. Le programme télévision le plus anxiogène du monde. Ce matin, on nous épargne les guerres et les violences qui sévissent malheureusement sur notre belle planète pour nous parler d’une tempête qui viendrait frapper des régions avoisinante dans le courant de la semaine. Je trouve avoir de la chance, moi, citadin accomplie, de pouvoir espérer voir une tempête en pleine campagne. Ce doit être un spectacle magnifique. Peu rassurant certes mais explosant de beauté. Je me retiens pourtant de faire part de mon avis en voyant l’air inquiet de Mayalen. « Si le temps se met à tourner, nous aurons tous le temps d’agir, ne vous en faites pas ».

Je porte ma tasse à la bouche et manque de m’étouffer. En effet, j’ai un sursaut en entendant une autre jeune femme crier à plein poumon depuis l’escalier. M’essuyant la bouche, je dissimule tant que je peux le sourire qui tend à investir mon visage. Cette charmante demoiselle blonde vers qui je me retourne m’a tout l’air de ne pas avoir le sérieux pour religion. Tant mieux. Je préfère être avec des personnes animées. A défaut de ne pas être un grand bavard, j’aime écouter les autres. Quand elle s’assois à côté de moi, j’essaye de lui faire comprendre discrètement, par le regard, qu’elle a oublié de passer par la case « habillage » avant de descendre.

« Pourquoi reprendre de zéro ? J’aime ce que j’ai pu voir de votre personnalité ce matin, cela me rassure à vrai dire…» Lui dis-je en lui présentant le plateau où sont posées les tartines.

Nous parlions de climatisation et des autres désagréments que posait cette soudaine chaleur. En tout cas pour un nordique, c’est assez désagréable. Je continue de parler en cette charmante compagnie quand j’aperçois, du coin de l’œil, une jeune fille blonde qui s’assoit à l’extrême opposé de nous. Quelle tristesse…Heureusement, Flaurine est là pour sauver la situation. Je dois dire que j’aurais été assez mal à l’aise en sachant cette personne à l’écart, comme une marginale. En attendant, j’ai fait une découverte bien plus intéressante que l’héliocentrisme ou la gravité, j’ai nommé ; les pains au chocolat. Pourquoi nous avoir caché cela en Angleterre ? Nous sommes punis c’est ça ? Quoi qu’il en soit, le petit plateau de viennoiserie subissait une véritable hécatombe de chocolatines. Me faisant oublier, j’en profite pour mener à bien une petite expérience de voyage…enfin du moins, essayer de la mener à bien. Malgré le rebut que m’inspire un bol, j’ai envie de m’y essayer. Grossière erreur. Je verse le contenu de ma tasse dans un petit bol blanc. Jusque là, pas de soucis. Le problème intervient quand je le porte à mes lèvres et tente de boire avec cet engin diabolique. Damned ! Je fais couler du café sur la table mais évite, par chance, ma nouvelle chemise. A la question de Fleurine, je soupire et me passe une main sur le front.

« C’est moi…je ne touche plus à vos bols…no way. » Je fais en entreprenant de sauver la nappe à coup de serviettes en papier.

Je roule mes yeux dans leurs orbites. Qu’est-ce que je disais tout à l’heure avant de descendre au salon ? Faire bonne impression ? Et bien on repassera hein. Je souris, un peu honteux, à Mayalen qui m’assure que ce n’est pas grave. Oh non ça, la nappe s’en sortira…peut-être lui restera-t-il une vilaine tâche délavée, souvenir de cette matinée. La tâche qui ne va pas s’estomper rapidement c’est celle que j’ai fait sur ma réputation. ‘Tant pis, au moins, je les aurai fait rire.’. J’esquisse un sourire pour moi seul et me lève, débarrassant toute ma vaisselle pour l’amener à la cuisine. Par la fenêtre, le soleil darde ses rayons brûlant sur le parquet. Dehors, la chaleur domine chaque parcelle de la propriété. Je garnis le lave-vaisselle et constate avec une pointe d’amertume que j’ai déjà chaud. Quelqu’un aurait-il pu au moins me prévenir que les étés en France pouvaient être aussi caniculaires ? J’aurais mis plus de T-shirts dans ma valise…Quelque chose me dit que je vais détester cette chemise aujourd'hui. En revenant à la cuisine, je me rassois en compagnie des trois jeunes femmes. J’ouvre mon paquet de cigarette et, après avoir réfléchis à leur demande, j’acquiesce ;

« Je pense qu’un passage en ville serait une bonne idée…je pourrai voir un peu les environs. »

Je place ma cigarette au coin de la lèvre quand Fleurine se lève et s’adresse à nous. J’ai un petit sourire devant son accent anglais, rien de méchant évidemment ! Le domaine va donc s’agrandir. Si je comprends bien tout, je n’ai pas seulement atterris dans un centre équestre mais aussi dans une véritable ferme. Et bien soit ! J’aime bien toucher à tout et la polyvalence des Pommes Vertes me plait énormément. Je n’ai jamais imaginé que Mayalen et Fleurine étaient aussi impliquées et responsables. Trop de travail ne serait pas bon pour elles, je réfléchis sérieusement à leur donnée un coup de main quand je le peux. Je retire ma cigarette et me lève à mon tour.

« Et bien devant ces événements et tous le travail que vous fournissez, laissez moi préparer à manger ce soir, pour inaugurer ça, nous mangerons tous ensemble. »