Balade dans la montagne (1 nuit)

J’ai un rictus amusé en écoutant les histoires des jeunes femmes. C’est fou le talent qu’elles montrent pour se mettre dans des situations gênantes. J’allume une cigarette, toujours un sourire en coin, et continue de tendre l’oreille, silencieux. Je n’ai rien à ajouter et prête attention aux bruits de la nuit qui s’harmonisent avec les voix chantantes de Fleurine et Elyse. Un léger rire m’échappe en repensant à quelque chose. Je coince la cigarette entre mes doigts, balance légèrement la tête en arrière pour souffler un nuage nauséabond dans les airs. « Personnellement, je me rappelle d’une fois où j’étais entouré de très bons amis…malheureusement, l’orage nous avait ôté le courant. » Je plante mon regard dans celui d’Elyse puis dans celui de Fleurine, laissant un bref silence s’installer. « Puis, comme j’allais récupérer un pion qui s’était glissé sous la table… » Je laisse un nouveau faux-suspens en me passant deux doigts sur l’arrête du nez. Je pense qu’elles ont deviné de quel passage de ma vie je fais allusion. « C’est à ce moment là, suite à un effleurement tout à fait fortuit, qu’une charmante jeune femme se décida à m’éclater littéralement le nez. ». Je souris, repensant amèrement à la douleur qui m’avait alors irradié le visage.

Elyse nous laissa alors, apparemment fatiguée. A vrai dire, je commence aussi à ressentir quelques symptômes du sommeil. Je baille en m’en décrocher la mâchoire, masquant ma bouche des deux mains avant d’essuyer quelques larmes au bord de mes yeux. Fleurine, malgré l’ambiance sereine, me semble tendue et inquiète. Je la questionne mais elle m’affirme que tout va bien…avant de se contredire quelques secondes après. Les nouveaux chevaux, le manque de personnel et l’argent qu’on a du mal à faire rentrer, son année qu’elle a loupé. Si on devait s’arrêter à tout cela, nos vies seraient bien ternes. Tout va finir par s’arranger. C’est ce que j’essaye de lui faire comprendre, silencieusement, en m’asseyant à côté d’elle et en la regardant, plein d’espoir pour la suite.

Comme les gens ont tendance à me trouver très peu bavard, c’est souvent eux qui m’incitent à parler de moi. En temps normal, j’esquive le sujet. D’une part à cause d’un manque évident d’intérêt, d’autre part à cause de mes vieilles blessures, toujours un peu sensibles. Je laisse sa question en suspend et me contente de regarder les flammes danser sur son visage. Je tire sur ma cigarette et souffle longuement avant de prendre la parole « En Angleterre, il y a des souvenirs chaotiques dont je préfère être le plus loin possible. J’y avais un appartement, où j’ai passé de longues nuits à étudier…Enfin, au début je voulais être pianiste mais…suite à une série d’événements, disons que je me suis reconvertie… » Je ne préfère pas continuer ce soir, je n’ai pas le cœur à ça. Je jette mon mégot dans le feu et promets à Fleurine de lui en dire plus quand nous serons revenue. « Je suis mort de fatigue, je ferai mieux d’aller dormir si je ne veux pas tomber de mon cheval demain. Bonne nuit Fleurine. » Je fais en lui souriant et en allant me rouler dans mon sac de couchage – enfin sec ! – quelques mètres plus loin.

Je pensais avoir plus de mal à m’endormir. Finalement, la fatigue accumulée ces derniers jours m’a fait sombrer dans un lourd sommeille en à peine quelques minutes. Une nuit sans rêve, ponctuée de plusieurs réveils aussi irréguliers que courts. A peine avais-je ouvert un œil que je me rendormais déjà, tout aussi sec. C’est bizarre, d’habitude, je suis plutôt du genre à avoir un sommeil plus lourd que le plomb. Peut-être est-ce à cause de cet environnement inhabituel ? Ou bien parce que j’ai trop de questions qui me tournent dans la tête ? Quoi qu’il en soit, ces tours et ces détours dans mon sac de couchage ne vont pas être bénéfiques pour mon repos. Je soupire avant de m’étendre sur le dos. Il doit être aux alentours d’une ou deux heures du matin quand j’entends Fleurine revenir d’une escapade nocturne. Où trouve-t-elle toute cette énergie ? Si j’avais été aussi fou pour grimper sur le dos d’Ouzo à cette heure-ci, je serais certainement tombé de ma selle de fatigue…sans même m’en apercevoir.

C’est la caresse d’un rayon de soleil qui me réveille. Le visage écrasé contre le sol et paresseusement étalé sur le dos, je papillonne des yeux avant de me redresser sur les coudes. C’est le petit matin, six heures a déjà dû sonner. Je passe une main dans mes cheveux et, en grimaçant, m’emmêle les doigts dans ma tignasse brune. Je dois ressembler à une bête des cavernes, hirsutes et piquantes. Damned. Je m’extirpe de mon sac de couchage et me relève, m’étirant de tout mon long. J’ai la vague impression d’être…le premier debout ? Mon dieu, il faudrait immortaliser cette journée. Je vais m’accroupir près de la rivière et m’asperge le visage d’eau, histoire de me rafraîchir. Mine de rien, il fait chaud en ce moment, que ce soit au petit matin ou tard dans la nuit.

En attendant que mes compagnes se réveillent, je vais voir les chevaux et les emmène se désaltérer dans l’onde claire. J’ai quelques courbatures de la veille mais rien de bien grave, je pourrai remonter sans problème.